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Annulé - (Quasi-)synonymie et polysémie & Phrases préfabriquées : typologies et moules sémantiques
Gaétane Dostie, Université de Sherbrooke (Canada) - Séminaire CLLE-ERSS
Résumé première partie :
Le vaste domaine des marqueurs de haut degré (MHD) est associé de manière prototypique à beaucoup et très. Celui-ci est réputé pour sa capacité à accueillir de nouvelles formes, notamment par le biais d’un processus de grammaticalisation (entre autres, Marchello-Nizia, 2006 ; Ghesquière et Davidse, 2011 ; Zribi-Hertz, 2015). La richesse du domaine oblige à faire des choix. Parmi les diverses avenues possibles, cet exposé cible préférentiellement les MHD utilisés en français québécois de tous les jours au tournant du xxie siècle. La sélection des marqueurs examinés repose sur des données authentiques prélevées dans le Corpus de français parlé au Québec (CFPQ).
Sur le plan empirique, l’étude vise à dégager les spécificités sémantiques et formelles de la dizaine de marqueurs sélectionnés et à évaluer leur degré de rapprochement sous l’angle de la synonymie. Les analyses s’inscrivent dans le cadre d’une réflexion sur l’organisation synchronique des microsystèmes grammaticaux résultant d’une évolution stratifiée. Ainsi, le microsystème considéré se compose de marqueurs propres au français parlé en général, mais aussi de dialectalismes, d’archaïsmes et d’innovations québécoises, anciennes et récentes (entre autres, Poirier 1995).
Sur le plan théorique, deux questions, étroitement liées aux analyses empiriques, fondent la démarche. La première concerne la définition même de la synonymie. En quoi consiste précisément cette relation sémantique entre mots ? La seconde se rapporte à la vision communément répandue selon laquelle la synonymie exacte serait impossible. Cette prise de position résiste-t-elle au poids des données authentiques ?
Après avoir rappelé quelques-unes des idées traditionnellement soutenues en ce qui a trait à la synonymie, l’attention se dirigera du côté des composantes constitutives de la valeur communicative des lexies (c’est-à-dire des mots pris dans une acception donnée). Ces considérations seront incontournables afin de cerner ce qui appartient en propre aux concepts et ce qui est plutôt d’ordre socio-pragmatique. Quatre sortes potentielles (au plan théorique) de synonymie exacte entre lexies/mots seront dégagées sur la base d’un croisement entre les axes « synonymie/polysémie », d’une part, et « sens conceptuel/sens associatif », d’autre part. La première sorte de synonymie qui sera identifiée (ou la synonymie1) renvoie à deux lexies, appartenant à deux mots distincts, qui seraient équivalentes d’un strict point de vue conceptuel. Comme les autres sortes potentielles de synonymie qui seront entrevues sont plus complexes – et donc plus difficiles à trouver – la synonymie1 constituera un point de départ incontournable dans le cadre d’une recherche empirique sur la synonymie exacte. Elle sera au cœur de l’exposé.
Références / travaux cités: cliquez ici
Titre deuxième partie : Phrases préfabriquées : typologies et moules sémantiques.
Résumé deuxième partie :
Cette recherche prend appui sur un corpus, partiellement constitué, regroupant des phrases préfabriquées (ou phrases « toutes faites ») qui intègrent, dans leurs signifiants, des lexèmes associés aux domaines dits fondamentaux (Langacker 1987). Les domaines en cause renvoient à des aires conceptuelles liées notamment à l’espace, au temps, au mouvement, à la température, aux couleurs, aux sons, aux odeurs, à la douleur et aux émotions (Langacker 1991 ; Evans et Green 2006). Voici quelques exemples typiques de phrases colligées :
(1) ce n’est pas demain la veille
(2) c’est le calme avant la tempête
(3) il y a quelque chose dans l’air
(4) après la pluie le beau temps
(5) deux paires de yeux valent mieux qu’une
(6) il y a de l’action
Les domaines fondamentaux sont des objets d’étude prisés depuis plus d’un demi-siècle (p. ex. sur la thématique des couleurs, Berlin et Kay 1969, Archibald 1992, Choi-Jonin 2005, Molinier 2006, Biggam et al., 2011, De Saussure 2011, Dubois et Cance 2012 ; sur la perception auditive et visuelle, Dupas 1997, Blumenthal 2002). Aussi, la richesse lexicale des domaines ciblés n’est plus à démontrer, y compris sous l’angle phraséologique (p. ex. dans le domaine des couleurs, Bennett 1981, Kirk-Greene 1989, Dabrowska 2003, Mollard-Desfour 2011 et 2013, Beshaj 2013 ; dans le champ de la perception visuelle et auditive, Augusto 2005, Palma 2010). Dans ce vaste ensemble, la présente étude se concentre sur les séquences phrastiques qui affichent les propriétés générales suivantes :
- elles sont polylexicales ;
- elles possèdent un degré d’autonomie syntaxique fort, bien qu’elles puissent parfois admettre des compléments renvoyant à la situation. Ces compléments correspondent alors à la réalisation syntaxique d’actants sémantiques. Ainsi, en parallèle à (7), on rencontre (8), où la complétive que P vient expliciter ce sur quoi l’affirmation, ce n’est pas d’hier, porte ;
(7) ce n’est pas d’hier
(8) ce n’est pas d’hier que P
- elles sont contraintes au plan paradigmatique et, selon le cas, au plan syntagmatique, comme on le voit ci-dessous :
(9) les planètes sont alignées
(9a) les astres sont alignés
(9b) ≠ les étoiles sont alignées
(9c) ≠ les planètes sont bien en ligne
(10) il est minuit moins une
(10a) ≠ il est minuit moins deux
(10b) ≠ il est dix heures moins une
Qui dit « contraint », ne dit pas forcément « figé ». De fait, il est souvent possible d’insérer des items lexicaux variés au sein des phrases collectées, le temps du verbe (lorsqu’il y en a un) n’est pas toujours fixe, etc. Les exemples suivants en attestent :
(11) les planètes sont bien alignées
(12) il est presque minuit moins une
(13) les planètes étaient alignées
(14) il était minuit moins une
- enfin, les phrases à l’étude sont destinées à réaliser des actes illocutoires par convention de langue ; cela confère à la classe examinée une unité sémantique par-delà la diversité des séquences rassemblées.
Les investigations effectuées à ce jour dans un nombre important de corpus de langue et de dictionnaires (généraux et thématiques) montrent que le champ à couvrir est consistant, sans être démesuré : il se compose de plusieurs centaines de phrases ayant soit une valeur générique (il s’agit alors d’énoncés parémiques), soit, plus fréquemment, une valeur spécifique.
L’exposé poursuivra deux objectifs complémentaires :
- le premier consistera à identifier quelques sous-classes au sein de la vaste classe des phrases préfabriquées, en prenant appui sur des typologies phraséologiques existantes (entre autres, sur les séquences phraséologiques en général, Mel’čuk 2003, 2013, 2015, 2017 [2011], Klein et Lamiroy 2016, 2017 [2011], Blanco et Mejri à paraître ; sur les énoncés parémiques, p. ex. Anscombre 2000, 2012, 2017 [2011], Kleiber 2000, Tamba 2000, 2017 [2011], Palma 2012) ;
- le second objectif sera de dégager quelques patrons sémantiques, transposables sous forme de définitions lexicographiques, pour les différentes sous-classes repérées.
L’atteinte des objectifs susmentionnés constitue un point de départ obligé pour parvenir ultimement à une modélisation lexicographique et grammaticale adaptée aux différents types de phrases qui seront circonscrits (notamment, les parémies, les phrases situationnelles, les phrases épisodiques, les pragmatèmes…), puis à une analyse individuelle fine de toutes ces phrases.
Références / travaux cités: cliquez ici